Le marché des compléments alimentaires connaît une croissance exponentielle en France et en Europe. Ces produits, situés à la frontière entre l’aliment et le médicament, soulèvent de nombreuses questions juridiques. Leur encadrement réglementaire s’est considérablement renforcé depuis les années 2000, tant au niveau européen que national. Face aux risques sanitaires potentiels et aux allégations parfois trompeuses, le législateur a développé un arsenal juridique spécifique. Cet encadrement vise à garantir la sécurité des consommateurs tout en permettant le développement d’un secteur économique dynamique. Nous analyserons les fondements juridiques qui régissent ces produits, les obligations des fabricants, les contrôles exercés par les autorités, ainsi que les contentieux qui émergent dans ce domaine en constante évolution.
Définition juridique et statut des compléments alimentaires
Le droit européen définit les compléments alimentaires dans la directive 2002/46/CE comme « des denrées alimentaires dont le but est de compléter le régime alimentaire normal et qui constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique ». Cette définition a été transposée en droit français à l’article D.5111-1 du Code de la santé publique.
La qualification juridique des compléments alimentaires est fondamentale car elle détermine le régime applicable. Contrairement aux médicaments, soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM), les compléments alimentaires relèvent du régime plus souple des denrées alimentaires. Cette distinction repose sur un critère principal : la présentation et la fonction du produit. Si un produit est présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies, il sera qualifié de médicament par présentation, indépendamment de sa composition.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé cette frontière dans plusieurs arrêts, notamment dans l’affaire Commission c/ Allemagne du 15 novembre 2007. Elle y affirme qu’un produit présenté comme favorisant la santé sans référence explicite à des maladies demeure un complément alimentaire. Cette jurisprudence est régulièrement affinée, comme l’illustre l’arrêt Laboratoires Lyocentre du 15 janvier 2009.
La procédure de mise sur le marché
La commercialisation d’un complément alimentaire en France nécessite une déclaration préalable auprès de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Cette procédure, moins contraignante qu’une AMM, implique de fournir un modèle d’étiquetage et la composition exacte du produit. L’autorité dispose alors d’un délai pour s’opposer à la commercialisation si elle estime que le produit présente un risque pour la santé publique.
Le règlement (CE) n°178/2002 établissant les principes généraux de la législation alimentaire s’applique pleinement aux compléments alimentaires. Ce texte pose le principe fondamental de sécurité, stipulant qu’aucune denrée ne peut être mise sur le marché si elle est dangereuse. La charge de la preuve de l’innocuité repose sur l’opérateur économique.
Pour les ingrédients non traditionnellement utilisés dans l’alimentation européenne, le règlement (UE) 2015/2283 relatif aux nouveaux aliments (« novel foods ») impose une procédure d’autorisation spécifique. Cette procédure, gérée par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA), vise à garantir que les ingrédients innovants ne présentent pas de risque pour le consommateur.
- Déclaration obligatoire à la DGCCRF
- Respect du principe de sécurité alimentaire
- Autorisation préalable pour les « novel foods »
- Conformité aux listes positives d’ingrédients autorisés
Réglementation des ingrédients et dosages maximaux
La législation européenne, notamment la directive 2002/46/CE, établit des listes positives d’ingrédients autorisés dans les compléments alimentaires. Ces listes concernent principalement les vitamines et minéraux, pour lesquels des formes chimiques spécifiques sont autorisées. Pour les autres substances à effet nutritionnel ou physiologique (plantes, probiotiques, etc.), l’harmonisation européenne reste incomplète, laissant aux États membres une marge d’appréciation.
En France, l’arrêté du 24 juin 2014 établit une liste des plantes autorisées dans les compléments alimentaires, avec leurs parties utilisables et, parfois, des conditions d’emploi spécifiques. Cette liste, régulièrement mise à jour, comprend plus de 600 plantes. Le décret n°2006-352 du 20 mars 2006 constitue le texte pivot en droit français, précisant les conditions d’utilisation des différentes catégories d’ingrédients.
La question des dosages maximaux représente un enjeu majeur. Si le principe d’harmonisation européenne est posé dans la directive 2002/46/CE, la fixation des teneurs maximales fait l’objet de négociations complexes entre États membres. En attendant cette harmonisation, la France a défini ses propres limites pour certains nutriments dans l’arrêté du 9 mai 2006. Ces valeurs s’appuient sur les travaux scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES).
Le cas particulier des plantes médicinales
Le statut juridique des plantes médicinales illustre parfaitement la complexité de la frontière entre complément alimentaire et médicament. En France, l’article D.4211-11 du Code de la santé publique dresse une liste des plantes médicinales dont la vente est réservée aux pharmaciens. Toutefois, le décret n°2008-841 du 22 août 2008 a créé une dérogation permettant la vente de certaines plantes ou parties de plantes hors monopole pharmaceutique.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a apporté des précisions fondamentales dans l’arrêt Solgar Vitamin’s France du 29 avril 2010. Elle y affirme que les restrictions nationales aux dosages doivent être fondées sur une évaluation approfondie des risques, respecter le principe de proportionnalité et faire l’objet d’une procédure facilement accessible aux opérateurs économiques.
Des tensions existent entre les approches nationales divergentes. Certains États membres, comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont traditionnellement adopté des positions plus libérales sur les dosages, tandis que d’autres, comme la France ou l’Italie, privilégient une approche plus restrictive au nom de la protection de la santé publique. Ces divergences constituent un obstacle persistant à l’harmonisation du marché intérieur.
- Listes positives d’ingrédients au niveau européen et national
- Dosages maximaux variables selon les pays
- Dérogation au monopole pharmaceutique pour certaines plantes
- Principe de l’évaluation scientifique des risques
Étiquetage et allégations de santé : un cadre strict
L’étiquetage des compléments alimentaires est soumis à un double encadrement juridique. D’une part, les règles générales d’étiquetage des denrées alimentaires prévues par le règlement (UE) n°1169/2011, dit INCO (Information des Consommateurs), s’appliquent pleinement. D’autre part, des dispositions spécifiques aux compléments alimentaires sont définies dans la directive 2002/46/CE et sa transposition française.
Parmi les mentions obligatoires figurent la dénomination « complément alimentaire », la portion journalière recommandée, un avertissement contre le dépassement de cette dose, l’indication que les compléments ne se substituent pas à une alimentation variée, ainsi qu’une mise en garde pour tenir le produit hors de portée des enfants. Ces exigences visent à informer correctement le consommateur et à prévenir les usages inadaptés.
Le règlement (CE) n°1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé constitue une révolution dans l’encadrement des communications commerciales. Il pose le principe fondamental que toute allégation doit être scientifiquement fondée et préalablement autorisée. Trois catégories d’allégations sont distinguées : les allégations nutritionnelles (« riche en fibres »), les allégations de santé génériques (« le calcium contribue au maintien d’une ossature normale ») et les allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie.
Le processus d’autorisation des allégations
Pour les allégations de santé, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) évalue les preuves scientifiques fournies par les opérateurs. Sur la base de cet avis, la Commission européenne décide d’autoriser ou non l’allégation. Le règlement (UE) n°432/2012 établit une liste des allégations de santé génériques autorisées, régulièrement mise à jour.
Ce système d’autorisation préalable a considérablement transformé le paysage publicitaire. Sur les milliers d’allégations évaluées, seules quelques centaines ont été autorisées, témoignant de la rigueur de l’évaluation scientifique. Les allégations rejetées concernent notamment les effets sur la perte de poids, le système immunitaire ou la santé articulaire, domaines où les preuves scientifiques ont été jugées insuffisantes.
Le contentieux autour des allégations est abondant. Dans l’affaire Green-Swan Pharmaceuticals du 14 juillet 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé que même les communications commerciales destinées uniquement aux professionnels de santé sont soumises au règlement sur les allégations. De même, dans l’arrêt Innova Vital du 10 septembre 2020, elle a confirmé que les marques commerciales peuvent elles-mêmes constituer des allégations soumises à autorisation.
- Mentions obligatoires spécifiques aux compléments alimentaires
- Autorisation préalable pour toute allégation de santé
- Évaluation scientifique par l’EFSA
- Interdiction des allégations thérapeutiques
Contrôles et sanctions : garantir la conformité et la sécurité
La surveillance du marché des compléments alimentaires mobilise plusieurs autorités en France. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) joue un rôle central dans le contrôle de la conformité réglementaire. Ses agents vérifient l’étiquetage, la composition et les allégations lors d’inspections régulières. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) intervient dans l’évaluation scientifique des risques et gère le dispositif de nutrivigilance.
Ce système de nutrivigilance, créé par la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009, permet de recueillir les signalements d’effets indésirables potentiellement liés à la consommation de compléments alimentaires. Les professionnels de santé sont tenus de signaler ces effets, tandis que les consommateurs peuvent le faire volontairement. L’ANSES analyse ces données et publie régulièrement des avis sur les risques identifiés.
L’arsenal des sanctions administratives et pénales est diversifié. En cas de non-conformité, la DGCCRF peut ordonner le retrait du marché, voire la destruction des produits. Des amendes administratives peuvent être prononcées, notamment pour les infractions aux règles d’étiquetage ou d’allégations. Dans les cas les plus graves, des poursuites pénales sont possibles.
La responsabilité des opérateurs économiques
Le règlement (CE) n°178/2002 pose le principe de responsabilité primaire des opérateurs du secteur alimentaire. Ceux-ci doivent s’assurer que leurs produits répondent aux exigences légales et ne présentent pas de danger. Cette responsabilité s’étend à toute la chaîne d’approvisionnement, de la fabrication à la distribution.
En cas de mise sur le marché d’un complément alimentaire dangereux, la responsabilité civile de l’opérateur peut être engagée sur le fondement de la directive 85/374/CEE relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposée aux articles 1245 et suivants du Code civil. La victime doit prouver le défaut du produit, son dommage et le lien de causalité entre les deux.
La responsabilité pénale peut également être recherchée, notamment pour tromperie sur les qualités substantielles (article L.441-1 du Code de la consommation) ou mise en danger de la vie d’autrui. L’affaire des compléments alimentaires contenant de la DMAA (diméthylamylamine), substance stimulante dangereuse, a ainsi donné lieu à des poursuites pénales contre plusieurs distributeurs en 2013.
- Contrôles de la DGCCRF sur la conformité réglementaire
- Système de nutrivigilance géré par l’ANSES
- Sanctions administratives (retrait, destruction, amendes)
- Responsabilité civile et pénale des opérateurs
Perspectives d’évolution juridique et nouveaux défis réglementaires
Le cadre juridique des compléments alimentaires n’est pas figé et doit s’adapter aux innovations du secteur. Plusieurs chantiers réglementaires sont en cours au niveau européen. L’harmonisation des doses maximales de vitamines et minéraux, prévue par la directive 2002/46/CE mais jamais finalisée, reste un objectif prioritaire. La Commission européenne a relancé ce processus en 2022, avec une consultation des parties prenantes.
L’encadrement des substances botaniques constitue un autre défi majeur. Face à la diversité des approches nationales, la Commission travaille sur une harmonisation des règles applicables aux plantes et extraits de plantes. Le projet BELFRIT, initiative conjointe de la Belgique, la France et l’Italie visant à établir une liste commune de plantes utilisables dans les compléments alimentaires, pourrait servir de base à cette harmonisation.
Le développement du commerce électronique bouleverse la surveillance du marché. La vente en ligne transfrontalière facilite la commercialisation de produits non conformes, échappant aux contrôles nationaux. Pour y répondre, le règlement (UE) 2017/625 sur les contrôles officiels a renforcé les outils à disposition des autorités, notamment pour les achats à distance. Des coopérations renforcées entre autorités nationales se mettent en place, comme l’opération OPSON coordonnée par Europol et Interpol.
Les enjeux liés aux nouvelles technologies
L’utilisation de nanomatériaux dans les compléments alimentaires soulève des questions spécifiques. Le règlement (UE) n°2015/2283 sur les nouveaux aliments impose une évaluation préalable de ces matériaux, dont les propriétés physico-chimiques particulières peuvent modifier le profil de risque. L’étiquetage doit mentionner clairement la présence de nanomatériaux, conformément au règlement INCO.
Les compléments alimentaires personnalisés, formulés sur la base de tests génétiques ou de biomarqueurs individuels, constituent une tendance émergente. Ce modèle brouille la frontière entre aliment et médecine personnalisée, posant de nouvelles questions juridiques. L’avis du Comité Consultatif National d’Éthique du 6 novembre 2018 a souligné les risques éthiques liés à ces pratiques.
La jurisprudence continue d’affiner les contours du cadre juridique. Dans son arrêt FCD et FNC du 10 avril 2014, le Conseil d’État français a validé l’interdiction de certains additifs dans les compléments alimentaires, reconnaissant une marge d’appréciation aux États membres pour protéger la santé publique. Cette décision illustre l’équilibre délicat entre harmonisation européenne et prérogatives nationales en matière de santé.
- Harmonisation en cours des doses maximales au niveau européen
- Projet d’encadrement unifié des substances botaniques
- Adaptation des contrôles au commerce électronique
- Régulation des nanomatériaux et technologies émergentes
Vers une protection renforcée du consommateur
L’évolution du cadre juridique des compléments alimentaires traduit une tendance de fond : le renforcement progressif de la protection du consommateur. Cette dynamique s’observe notamment dans l’enrichissement des obligations d’information. Le règlement (UE) 2019/1381 relatif à la transparence dans l’évaluation des risques a ainsi renforcé l’accès du public aux études scientifiques utilisées pour évaluer la sécurité des produits.
La jurisprudence participe activement à cette protection accrue. Dans l’arrêt Dextro Energy du 8 juin 2016, le Tribunal de l’Union européenne a validé le refus d’autoriser des allégations sur le glucose, malgré leur fondement scientifique, au motif qu’elles contredisaient les messages de santé publique sur la réduction de la consommation de sucre. Cette décision consacre la primauté des objectifs de santé publique sur les intérêts commerciaux.
La lutte contre la fraude s’intensifie également. La loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 (loi EGalim) a renforcé les pouvoirs de la DGCCRF, notamment sa capacité à ordonner des retraits du marché ou à publier les résultats de ses contrôles. Les sanctions pénales ont été alourdies, avec des amendes pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires pour les infractions les plus graves.
La question de l’accès aux données scientifiques
La transparence des données scientifiques constitue un enjeu croissant. Le règlement (UE) 2019/1381 impose désormais la publication des études soumises à l’EFSA pour l’évaluation des risques, sauf exceptions justifiées par la protection des intérêts commerciaux. Cette évolution répond aux critiques sur l’opacité des processus d’évaluation, particulièrement vives après la controverse sur le glyphosate.
Les associations de consommateurs jouent un rôle accru dans la surveillance du marché. Des organisations comme l’UFC-Que Choisir ou la CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie) mènent régulièrement des enquêtes sur les compléments alimentaires, dénonçant les allégations trompeuses ou les compositions problématiques. Leurs actions, y compris contentieuses, complètent utilement les contrôles officiels.
L’information du consommateur pourrait être encore améliorée par des systèmes d’étiquetage plus lisibles. Sur le modèle du Nutri-Score pour les aliments courants, certains experts proposent des indicateurs simplifiés de la qualité des compléments alimentaires. Ces initiatives se heurtent toutefois à la complexité d’évaluer des produits aux compositions et finalités très diverses.
- Renforcement de la transparence dans l’évaluation des risques
- Jurisprudence favorable à la protection de la santé publique
- Pouvoirs accrus de la DGCCRF
- Rôle actif des associations de consommateurs
FAQ sur les aspects juridiques des compléments alimentaires
Quelle différence juridique entre un complément alimentaire et un médicament ?
Un médicament est défini comme toute substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies, ou pouvant être utilisée pour restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques. Il nécessite une autorisation de mise sur le marché. Un complément alimentaire est une denrée alimentaire visant à compléter le régime normal, sans revendication thérapeutique, et soumis à une simple déclaration.
Peut-on librement importer des compléments alimentaires d’un pays hors UE ?
Non, l’importation est soumise aux mêmes exigences que la commercialisation sur le territoire national. Le produit doit être conforme à la réglementation européenne et française, notamment concernant les ingrédients autorisés et l’étiquetage. Une déclaration à la DGCCRF est nécessaire avant la première mise sur le marché.
Les fabricants peuvent-ils communiquer sur des études scientifiques non validées par l’EFSA ?
La communication sur des études scientifiques est encadrée strictement. Si cette communication suggère ou implique un effet bénéfique sur la santé, elle constitue une allégation soumise à autorisation préalable. La simple référence à des études non validées par l’EFSA peut donc être considérée comme une allégation non autorisée si elle établit un lien avec la santé.
Quelles sanctions en cas de commercialisation d’un complément alimentaire dangereux ?
Les sanctions peuvent être administratives (retrait ou rappel du produit, suspension d’activité) et pénales. L’article L.452-5 du Code de la consommation prévoit jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 600 000 euros d’amende pour la mise sur le marché d’un produit dangereux. La responsabilité civile du fabricant peut également être engagée pour indemniser les victimes.
