Face à l’instabilité croissante des marchés économiques et aux crises mondiales successives, la clause de hardship s’impose comme un mécanisme contractuel fondamental pour les entreprises. Cette disposition, qui permet la renégociation du contrat en cas de bouleversement imprévisible des circonstances économiques, cristallise des enjeux juridiques majeurs tant en droit français qu’en droit international. La réforme du droit des contrats de 2016 a profondément modifié son régime juridique, notamment avec l’introduction de l’article 1195 du Code civil, sans pour autant résoudre toutes les ambiguïtés liées à sa mise en œuvre. Entre sécurité juridique et flexibilité contractuelle, les praticiens du droit doivent naviguer avec précaution dans l’invocation de cette clause aux multiples facettes.
Fondements juridiques et évolution de la clause de hardship en droit français
La clause de hardship trouve son origine dans la common law et s’est progressivement imposée dans les systèmes juridiques de tradition romaniste. Historiquement, le droit français se montrait particulièrement réticent à l’idée de révision pour imprévision, en vertu du principe de la force obligatoire des contrats consacré par l’ancien article 1134 du Code civil. Cette position rigide s’illustrait parfaitement dans le célèbre arrêt Canal de Craponne de 1876, par lequel la Cour de cassation refusait catégoriquement d’adapter un contrat malgré des circonstances économiques radicalement transformées.
La réforme du droit des obligations de 2016 marque un tournant décisif avec l’introduction de l’article 1195 du Code civil, qui consacre légalement la théorie de l’imprévision. Ce texte dispose qu’en cas de « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » rendant l’exécution « excessivement onéreuse pour une partie », celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant. Cette évolution majeure rapproche le droit français des Principes UNIDROIT et du droit allemand, qui reconnaissaient déjà cette théorie.
Toutefois, cette disposition présente un caractère supplétif. Les parties conservent la liberté d’écarter expressément son application ou d’en aménager les conditions par l’insertion d’une clause de hardship spécifique. Cette faculté d’aménagement contractuel explique la diversité des formulations rencontrées dans la pratique, allant de clauses très détaillées à des mécanismes plus souples.
La jurisprudence récente témoigne d’une application nuancée de ce nouveau dispositif légal. Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour de cassation a précisé que l’article 1195 ne peut être invoqué pour des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme. Plus significativement encore, dans une décision du 25 janvier 2023, elle a souligné que le caractère « excessivement onéreux » de l’exécution doit s’apprécier objectivement, au regard de l’économie générale du contrat, et non simplement des difficultés subjectives rencontrées par le débiteur.
- Avant 2016 : refus jurisprudentiel constant de l’imprévision en droit privé
- Après 2016 : reconnaissance légale sous conditions strictes
- Caractère supplétif de l’article 1195 du Code civil
- Développement d’une jurisprudence interprétative
Cette évolution législative s’inscrit dans une tendance internationale plus large visant à adapter le droit des contrats aux réalités économiques contemporaines, marquées par une instabilité croissante. Elle répond aux attentes des opérateurs économiques tout en maintenant un équilibre délicat entre sécurité juridique et flexibilité contractuelle.
Conditions d’invocation de la clause de hardship : une analyse approfondie
L’invocation efficace d’une clause de hardship repose sur la réunion de conditions cumulatives strictes, dont l’appréciation varie selon la source juridique applicable – qu’il s’agisse de l’article 1195 du Code civil, des clauses contractuelles spécifiques ou des instruments internationaux comme les Principes UNIDROIT.
L’imprévisibilité du changement de circonstances
La première condition fondamentale réside dans le caractère imprévisible du changement de circonstances au moment de la conclusion du contrat. Cette exigence s’analyse objectivement : le changement ne devait pas pouvoir être raisonnablement anticipé par un contractant normalement diligent. La jurisprudence se montre particulièrement exigeante sur ce point, refusant généralement de qualifier d’imprévisibles les fluctuations ordinaires du marché ou les variations monétaires dans certains secteurs volatils. À titre d’illustration, dans un arrêt du 29 juin 2010, la Cour d’appel de Paris a refusé d’admettre comme imprévisible une hausse des prix des matières premières de 30%, considérant qu’elle relevait des aléas normaux dans le secteur concerné.
En revanche, des événements exceptionnels comme la crise sanitaire COVID-19, la guerre en Ukraine ou des catastrophes naturelles majeures peuvent constituer des circonstances imprévisibles selon leur impact sur l’exécution contractuelle. Les tribunaux examinent minutieusement la date de conclusion du contrat pour déterminer si l’événement invoqué était réellement imprévisible à ce moment précis.
Le caractère excessivement onéreux de l’exécution
La seconde condition essentielle concerne le déséquilibre économique provoqué par le changement de circonstances. L’exécution du contrat doit devenir « excessivement onéreuse » pour la partie qui invoque la clause. Cette notion, volontairement imprécise, fait l’objet d’une appréciation au cas par cas. Les juges analysent généralement :
- Le pourcentage de variation des coûts d’exécution
- L’impact sur la rentabilité globale du contrat
- La capacité financière du débiteur à absorber ce surcoût
- La durée restante du contrat
Une simple difficulté d’exécution ou une diminution de la marge bénéficiaire ne suffit pas. La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 janvier 2023, a précisé que l’onérosité excessive doit être évaluée objectivement et non au regard des seules difficultés subjectives du débiteur. Dans cette affaire, un surcoût de 12% a été jugé insuffisant pour caractériser une situation de hardship.
L’absence de prise en charge du risque
Une condition souvent négligée mais déterminante concerne l’allocation contractuelle des risques. La partie qui invoque le hardship ne doit pas avoir accepté, explicitement ou implicitement, de supporter le risque du changement de circonstances. Cette analyse s’avère particulièrement pertinente dans les contrats sophistiqués entre professionnels, où la répartition des risques fait généralement l’objet de négociations détaillées.
À cet égard, la nature du contrat joue un rôle significatif. Dans les contrats aléatoires par essence, comme certains contrats financiers ou d’assurance, l’acceptation implicite de l’aléa rend plus difficile l’invocation du hardship. De même, l’existence de clauses d’indexation ou de révision partielle peut être interprétée comme une prise en charge contractuelle de certains risques, limitant d’autant la possibilité d’invoquer le mécanisme de l’article 1195.
L’appréciation de ces conditions s’effectue à travers un contrôle judiciaire rigoureux, les tribunaux cherchant à maintenir un équilibre entre la stabilité contractuelle et l’adaptation aux circonstances exceptionnelles. Cette rigueur explique le nombre relativement limité de décisions favorables à l’application du hardship, malgré la consécration légale de l’imprévision.
Procédure de mise en œuvre et effets juridiques de l’invocation
L’invocation d’une clause de hardship déclenche une procédure séquentielle dont chaque étape revêt une importance stratégique majeure. Cette procédure, qu’elle soit issue de l’article 1195 du Code civil ou d’une stipulation contractuelle spécifique, s’articule autour de plusieurs phases distinctes, avec des effets juridiques variables.
La notification et l’obligation de renégociation
La première étape consiste en une notification formelle adressée au cocontractant. Cette démarche, qui marque le point de départ de la procédure, doit respecter certaines exigences de forme et de fond pour produire ses effets. Sur le plan formel, bien que la loi n’impose pas de modalité particulière, la prudence commande d’opter pour un écrit traçable (lettre recommandée avec accusé de réception, email avec confirmation de lecture). Sur le fond, la notification doit contenir:
- L’identification précise du changement de circonstances invoqué
- La démonstration de son caractère imprévisible
- L’évaluation chiffrée de son impact économique
- Une proposition concrète de renégociation
Cette notification ouvre une phase de renégociation dont la particularité réside dans son caractère obligatoire. Contrairement au droit commun, où la renégociation relève de la pure faculté des parties, l’article 1195 instaure une véritable obligation de renégocier de bonne foi. Cette obligation ne garantit pas l’aboutissement des discussions, mais impose un comportement loyal dans la recherche d’un nouvel équilibre contractuel.
La jurisprudence récente a précisé les contours de cette obligation. Dans un arrêt du 4 mai 2022, la Cour d’appel de Paris a sanctionné un contractant qui avait systématiquement refusé toute discussion malgré des propositions raisonnables de son partenaire. À l’inverse, dans une décision du 10 février 2021, le Tribunal de commerce de Lyon a rejeté une demande fondée sur le hardship en raison du caractère manifestement excessif des modifications sollicitées.
Les effets juridiques pendant la phase de renégociation
Une question cruciale concerne les effets de l’invocation du hardship sur l’exécution du contrat pendant la phase de renégociation. Contrairement à la force majeure, le hardship n’entraîne pas automatiquement la suspension des obligations contractuelles. Le principe demeure l’exécution du contrat dans ses termes initiaux jusqu’à l’aboutissement éventuel des renégociations.
Toutefois, la pratique a développé des mécanismes d’aménagement temporaire. Certaines clauses de hardship sophistiquées prévoient expressément un régime transitoire applicable pendant la phase de renégociation. En l’absence de telles stipulations, la partie affectée peut solliciter des mesures provisoires auprès du juge des référés, notamment sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile, pour prévenir un dommage imminent.
L’intervention judiciaire en cas d’échec des négociations
En cas d’échec des renégociations, l’article 1195 prévoit une séquence de deux options alternatives. Les parties peuvent d’abord convenir conjointement de la résolution du contrat ou solliciter ensemble sa révision judiciaire. À défaut d’accord sur cette démarche commune, chaque partie dispose d’un droit d’action unilatéral pour demander au juge d’adapter le contrat ou d’y mettre fin.
L’intervention judiciaire constitue ainsi l’ultime recours, mais soulève d’importantes questions pratiques. Le juge dispose d’un pouvoir d’adaptation dont l’étendue reste débattue. Peut-il simplement rééquilibrer les prestations ou réinventer complètement l’économie du contrat? La jurisprudence encore embryonnaire suggère une approche mesurée, le juge s’efforçant de restaurer l’équilibre initial sans se substituer entièrement aux parties dans la définition de leurs relations contractuelles.
Quant à la résolution judiciaire, elle soulève la question délicate de ses modalités. L’article 1195 reste silencieux sur les conditions de cette résolution (date d’effet, restitutions éventuelles, indemnisation). En pratique, les tribunaux tendent à ordonner une résolution pour l’avenir uniquement, préservant les prestations déjà exécutées, notamment dans les contrats à exécution successive.
Cette procédure séquentielle illustre la tension permanente entre la volonté de préserver l’autonomie contractuelle des parties et la nécessité d’une intervention judiciaire pour résoudre les blocages. Elle confirme le caractère subsidiaire de l’adaptation judiciaire, conçue comme un dernier recours face à l’échec des mécanismes conventionnels.
Analyse comparative: la clause de hardship en droit international et dans les différents systèmes juridiques
La clause de hardship présente des variations significatives selon les traditions juridiques et les instruments internationaux. Cette diversité d’approches influence considérablement la stratégie des acteurs économiques dans leurs relations transfrontalières.
Les instruments internationaux et la standardisation du hardship
Les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international constituent une référence incontournable en matière de hardship. Les articles 6.2.1 à 6.2.3 proposent un cadre équilibré qui a inspiré de nombreuses législations nationales, dont la réforme française. Ce dispositif se distingue par:
- Une définition précise du hardship (altération fondamentale de l’équilibre contractuel)
- Des critères objectifs d’évaluation (augmentation substantielle des coûts ou diminution substantielle de la valeur)
- Une hiérarchisation claire des remèdes (renégociation prioritaire, puis intervention judiciaire)
La Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (CVIM) n’aborde pas explicitement le hardship, ce qui a suscité d’importantes controverses doctrinales. Dans un avis consultatif n°7 de 2007, le Conseil consultatif de la CVIM a toutefois considéré que l’article 79 relatif aux exonérations pouvait, dans certaines circonstances exceptionnelles, s’appliquer aux situations de hardship. Cette interprétation a été partiellement confirmée par la Cour suprême belge dans une décision remarquée du 19 juin 2009 (Scafom International BV c. Lorraine Tubes SAS).
Les Principes du droit européen des contrats (PDEC) adoptent une approche similaire aux Principes UNIDROIT, reconnaissant explicitement le hardship à l’article 6:111. Cette convergence témoigne d’une tendance à l’harmonisation des solutions au niveau international, malgré la persistance de spécificités nationales.
Approches comparatives dans les principaux systèmes juridiques
La réception du hardship varie considérablement selon les traditions juridiques. Les systèmes de common law privilégient historiquement la théorie de la frustration, qui conduit généralement à l’extinction du contrat plutôt qu’à sa révision. Le droit anglais demeure particulièrement réticent à toute forme d’adaptation judiciaire, comme l’illustre la jurisprudence constante depuis le célèbre arrêt Paradine v. Jane (1647). Toutefois, la pratique contractuelle a développé des clauses de hardship sophistiquées qui compensent partiellement cette rigidité légale.
Le droit allemand a adopté une approche plus flexible à travers la théorie de la Störung der Geschäftsgrundlage (perturbation du fondement contractuel), codifiée au §313 du BGB. Cette disposition, qui a inspiré la réforme française, autorise l’adaptation judiciaire du contrat lorsque les circonstances constituant le fondement du contrat ont été gravement modifiées après sa conclusion.
Le droit italien reconnaît le concept d’eccessiva onerosità sopravvenuta (article 1467 du Code civil italien), mais avec une particularité notable: la partie contre laquelle la résolution est demandée peut l’éviter en offrant une modification équitable des conditions contractuelles.
Le droit suisse offre probablement l’approche la plus libérale à travers la théorie jurisprudentielle de l’imprévision, fondée sur l’article 2 du Code civil suisse (interdiction de l’abus de droit). Les tribunaux suisses n’hésitent pas à adapter les contrats devenus manifestement déséquilibrés par suite de circonstances extraordinaires et imprévisibles.
Implications pratiques pour les contrats internationaux
Cette diversité d’approches comporte des implications majeures pour la rédaction des contrats internationaux. En pratique, les opérateurs économiques doivent porter une attention particulière à:
- Le choix de la loi applicable, qui peut s’avérer déterminant pour le traitement du hardship
- La rédaction de clauses spécifiques, éventuellement plus protectrices que le droit applicable
- L’articulation entre clause de hardship et mécanismes alternatifs de gestion des risques (indexation, force majeure)
La clause de hardship dans les contrats internationaux tend à être plus détaillée que dans les contrats domestiques, précisant notamment les seuils de déclenchement (souvent exprimés en pourcentage de variation des coûts), la procédure de renégociation (délais, modalités, documentation requise) et les conséquences d’un échec des négociations.
Cette analyse comparative révèle que, malgré une tendance à l’harmonisation des principes fondamentaux, des différences significatives persistent entre les systèmes juridiques. Ces divergences justifient une attention particulière à la rédaction contractuelle pour sécuriser les relations commerciales internationales face aux aléas économiques.
Stratégies d’invocation et défenses face à une clause de hardship
L’invocation efficace d’une clause de hardship requiert une stratégie juridique minutieusement élaborée, tandis que la défense face à une telle invocation nécessite une analyse critique des conditions d’application et des alternatives disponibles. Ces approches antagonistes s’inscrivent dans un cadre procédural où la charge de la preuve et le timing jouent un rôle déterminant.
Stratégies d’invocation optimale
Pour la partie souhaitant invoquer le hardship, plusieurs éléments stratégiques méritent une attention particulière. La constitution du dossier probatoire représente un enjeu majeur. Ce dossier doit documenter rigoureusement:
- L’état initial du marché lors de la conclusion du contrat (indices de prix, études sectorielles)
- L’ampleur du bouleversement économique (analyses comptables détaillées)
- Le lien de causalité entre le changement de circonstances et le déséquilibre contractuel
- L’absence d’anticipation possible de ce changement (rapports d’experts, consensus de marché antérieur)
La temporalité de l’invocation constitue un facteur critique. Une notification trop tardive peut être interprétée comme une acceptation tacite du déséquilibre ou une renonciation à se prévaloir du hardship. À l’inverse, une invocation prématurée, avant que le déséquilibre n’atteigne un seuil significatif, risque d’être rejetée comme insuffisamment fondée. La jurisprudence tend à considérer qu’un délai raisonnable doit être observé entre la survenance du changement de circonstances et sa notification.
L’approche de la renégociation mérite une attention particulière. Les tribunaux examinent attentivement le comportement des parties durant cette phase. Une attitude constructive et des propositions raisonnables renforcent considérablement la position de la partie invoquant le hardship. Pour optimiser les chances de succès, il convient de:
- Formuler des propositions précises et chiffrées
- Démontrer la prise en compte des intérêts légitimes du cocontractant
- Documenter méthodiquement les échanges et l’évolution des négociations
- Maintenir l’exécution du contrat dans la mesure du possible pendant les discussions
Stratégies de défense efficaces
Face à l’invocation d’une clause de hardship, plusieurs lignes de défense peuvent être mobilisées. La contestation des conditions d’application constitue la stratégie la plus directe. Elle peut porter sur:
Le caractère prévisible du changement de circonstances, particulièrement dans les secteurs économiques intrinsèquement volatils. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 28 février 2018 a ainsi rejeté l’application du hardship pour des fluctuations monétaires dans un secteur notoirement exposé à ce risque.
L’insuffisance du déséquilibre économique, en démontrant que l’exécution, bien que plus onéreuse, reste dans les limites de l’aléa normal du contrat. La jurisprudence exige généralement un déséquilibre substantiel, dépassant significativement les fluctuations habituelles du secteur concerné.
L’existence d’une acceptation implicite du risque, notamment dans les contrats comportant une rémunération majorée précisément pour compenser la prise en charge de certains aléas économiques.
Une stratégie alternative consiste à invoquer les mécanismes contractuels alternatifs déjà prévus pour gérer les fluctuations économiques. La présence de clauses d’indexation, de variation de prix ou de révision périodique peut être interprétée comme excluant implicitement le recours au hardship. Dans un arrêt du 17 février 2015, la Cour de cassation a ainsi considéré qu’une clause d’indexation spécifique manifestait la volonté des parties d’encadrer contractuellement les conséquences des variations économiques.
Sur le plan procédural, la stratégie dilatoire peut parfois s’avérer efficace. En acceptant formellement le principe de la renégociation mais en faisant traîner les discussions, le défendeur peut gagner un temps précieux, particulièrement si la conjoncture économique montre des signes d’amélioration qui pourraient atténuer le déséquilibre invoqué. Cette approche comporte toutefois des risques, les tribunaux sanctionnant de plus en plus sévèrement les comportements dilatoires manifestement abusifs.
Préparation et conduite du contentieux
Lorsque la phase de renégociation échoue, la préparation du contentieux devient déterminante. Pour la partie invoquant le hardship, l’accent doit être mis sur la démonstration de sa bonne foi durant les négociations. Les tribunaux sont particulièrement sensibles à cet aspect, comme l’illustre une décision du Tribunal de commerce de Paris du 11 décembre 2020, qui a sanctionné un demandeur dont les exigences de renégociation avaient été jugées excessives et déséquilibrées.
Pour le défendeur, la stratégie contentieuse peut s’orienter vers la démonstration des conséquences excessives qu’entraînerait une adaptation judiciaire du contrat. Cette approche s’appuie sur la réticence traditionnelle des juges à s’immiscer dans l’économie contractuelle définie par les parties.
Dans tous les cas, le recours à l’expertise technique s’avère souvent incontournable pour objectiver le débat sur l’ampleur du déséquilibre économique. La désignation d’un expert judiciaire indépendant peut constituer un tournant décisif dans la procédure, d’où l’importance d’une préparation minutieuse des éléments techniques du dossier.
Ces stratégies antagonistes illustrent la complexité du contentieux du hardship, qui combine des aspects juridiques, économiques et comportementaux. L’issue de ces litiges demeure largement imprévisible, ce qui incite les parties à privilégier, lorsque possible, des solutions négociées plutôt qu’une intervention judiciaire aux conséquences incertaines.
Perspectives d’avenir et recommandations pratiques pour la rédaction des clauses
L’évolution du droit du hardship s’inscrit dans un contexte économique marqué par une instabilité croissante et des crises successives. Cette réalité appelle une réflexion prospective sur les tendances émergentes et des recommandations concrètes pour une rédaction optimale des clauses contractuelles.
Tendances émergentes et évolutions prévisibles
Plusieurs tendances se dessinent dans le paysage juridique contemporain. La jurisprudence post-réforme commence à préciser les contours de l’article 1195 du Code civil, avec une attention particulière portée à la notion d’onérosité excessive. Les décisions récentes suggèrent une approche mesurée, exigeant un déséquilibre substantiel tout en rejetant une interprétation trop restrictive qui viderait le dispositif de sa substance.
La crise sanitaire et les tensions géopolitiques actuelles ont considérablement accéléré la prise de conscience des acteurs économiques face aux risques d’instabilité contractuelle. Cette sensibilisation accrue se traduit par une sophistication croissante des clauses de hardship, désormais considérées comme un élément stratégique de la négociation contractuelle plutôt qu’une simple clause de style.
L’émergence de mécanismes hybrides, combinant éléments de hardship et de force majeure, témoigne d’une recherche de solutions plus flexibles. Ces clauses dites de « material adverse change » ou de « changement significatif défavorable » permettent d’adapter la réponse juridique à l’intensité variable des perturbations économiques.
Sur le plan international, on observe une convergence progressive des approches, sous l’influence des Principes UNIDROIT et de la pratique arbitrale. Cette harmonisation de fait facilite le traitement des contrats transfrontaliers, même si des divergences significatives persistent entre les traditions juridiques.
Recommandations pour une rédaction efficace des clauses
La rédaction d’une clause de hardship efficace requiert une attention particulière à plusieurs éléments clés. La définition précise des événements déclencheurs constitue un prérequis fondamental. Pour éviter les ambiguïtés, il est recommandé de:
- Spécifier des seuils quantitatifs de déclenchement (pourcentage de variation des coûts)
- Identifier explicitement certains types d’événements considérés comme constitutifs de hardship
- Préciser la période de référence pour l’appréciation du changement de circonstances
- Distinguer clairement les événements relevant du hardship de ceux relevant de la force majeure
La procédure de mise en œuvre mérite une attention particulière. Une clause bien rédigée devrait détailler:
Les modalités de notification (forme, délais, contenu minimal)
Le processus de renégociation (calendrier, représentants habilités, obligations documentaires)
Les mécanismes de résolution des blocages (médiation préalable, expertise technique indépendante)
Le régime applicable pendant la phase de renégociation (maintien, suspension ou adaptation provisoire)
Les conséquences d’un échec des négociations doivent être anticipées avec soin. Plusieurs options peuvent être envisagées:
Désignation d’un tiers décideur (expert, médiateur ou arbitre) habilité à adapter le contrat
Mise en place d’un mécanisme de résiliation ordonnée avec préavis et modalités de transition
Prévision d’une formule d’adaptation automatique applicable en l’absence d’accord
La clause peut utilement préciser son articulation avec le dispositif légal de l’article 1195. Une formulation explicite peut:
Exclure totalement l’application du dispositif légal au profit du mécanisme contractuel
Compléter le régime légal sur certains points spécifiques
Prévoir une application subsidiaire du dispositif légal en cas d’échec du mécanisme contractuel
Adaptation sectorielle des clauses
L’efficacité d’une clause de hardship dépend largement de son adaptation aux spécificités du secteur économique concerné. Dans les contrats de construction, la clause gagnera à intégrer des mécanismes spécifiques de révision pour les matières premières stratégiques, avec des indices de référence sectoriels. Pour les contrats d’approvisionnement à long terme, l’accent sera mis sur les mécanismes de révision périodique programmée, complétés par un dispositif de hardship pour les bouleversements exceptionnels.
Les contrats financiers appellent une attention particulière aux variations des taux directeurs et des conditions générales de refinancement. Dans ce secteur, la pratique tend à privilégier des clauses très détaillées, avec des seuils de déclenchement précisément quantifiés.
Pour les contrats de licence et de transfert de technologie, la clause de hardship doit intégrer les bouleversements liés à l’obsolescence technologique ou aux évolutions réglementaires majeures affectant l’exploitation des droits concédés.
Ces adaptations sectorielles témoignent de la nécessaire personnalisation des clauses de hardship, qui ne sauraient être réduites à des formules standardisées. Elles illustrent la tension permanente entre sécurité juridique et flexibilité contractuelle qui caractérise le droit contemporain des contrats d’affaires.
L’avenir du hardship s’inscrit dans cette dialectique entre prévisibilité et adaptabilité, avec une tendance claire à la sophistication croissante des mécanismes contractuels destinés à gérer l’imprévu. Cette évolution reflète une prise de conscience: dans un monde économique instable, la pérennité des relations contractuelles repose moins sur la rigidité des engagements que sur leur capacité d’adaptation aux circonstances changeantes.
